La première demande que l’on enseigne généralement aux chiots est le «assis». Il est ensuite utilisé un peu partout et dans toutes sortes de contextes : assis avant de sortir à l’extérieur, assis quand moi l’humain j’attends pour quelque chose, assis quand la visite arrive à la maison, assis quand tu rencontres un autre chien, bref assis pour bien des raisons.
Vous êtes-vous déjà posé la question à savoir si cette demande était appropriée dans tous les contextes ? Si nous laissions le choix à notre chien d’agir comme il le souhaite dans ces différentes situations, est-ce qu’il prendrait cette position ? Une simple demande de base qui est enseignée dans plusieurs sphères de l’éducation canine (maternelle, obéissance/fantaisie) pourrait-elle causer plus d’effets négatifs que positifs ?
Il y a plusieurs mois, je lisais un article (1) de la très excellente Kama Brown, CPTD-KA sur le sujet. Puis, bien que j’aie eu de nombreuses occasions d’observer le comportement naturel des chiens lorsque j’avais une pension canine, je me suis mise à les observer encore plus attentivement lors des interactions dans mes cours de groupe.
C’est lorsque l’on prend le temps de regarder les chiens être des chiens tout simplement que l’on apprend beaucoup de choses à leur sujet.
Si vous en avez l’occasion, je vous le conseille vivement, vous serez étonné !
D’où vient la demande « assis »
Petit retour en arrière pour bien comprendre d’où vient l’enseignement du assis. En effectuant quelques recherches sur internet à ce sujet, il apparait que la demande « assis » est apparue dans les environs des années 1900 durant les compétitions d’obéissances canine. Évidemment, dans un contexte de compétition, les demandes sont faites dans un environnement contrôlé où le chien est généralement seul à s’effectuer. Ce qui n’est pas du tout le cas de nos chiens de compagnie. Les chiens de compétition sont entraînés à effectuer ce comportement qui sera évalué par la suite.
Il faut comprendre que les circonstances de l’apprentissage de cette demande étaient à la base aux fins de compétition. Avant les années 1900, ce n’était pas nécessairement quelque chose d’enseigné aux chiens qui étaient à cette époque principalement des chiens de travail, pensons aux chiens de berger par exemple.
Donc cette propension à toujours demander à son chien de s’asseoir trouverait vraisemblablement son origine dans les compétitions d’obéissance.
Maintenant, l’enseignement du « assis » chez nos chiens de compagnie est tellement mis de l’avant dans l’éducation qu’il est devenu un comportement par défaut idéal pour toutes les situations. Le chien doit non seulement s’asseoir, mais il doit rester dans cette position, la plupart du temps afin d’avoir accès à quelque chose comme un renforcement (friandise) ou avant une interaction sociale par exemple avec un enfant ou un autre chien. Par contre, comme le dit si bien Kama Brown, bien qu’il soit enseigné dans presque tous les cours de maternelle et d’obéissance, il n’est généralement pas suivi d’explications et d’informations de la part de l’entraîneur à savoir quand il est approprié ou pas.
Pourquoi et quand un chien s’assoit-il ?
Tout d’abord il faut comprendre pourquoi un chien s’assoit afin de mieux interpréter son comportement. Kama Brown mentionne dans son article que c’est en regardant les chiens détachés et libres de leurs mouvements que l’on peut bien analyser ce comportement. Un chien s’assoit pour observer, se reposer, signaler à autrui qu’il n’est pas à l’aise ou qu’il n’est pas une menace (signaux d’apaisement) (2) .
Tout comme l’humain, lorsque deux chiens se rencontrent, généralement, pour ne pas dire la plupart du temps, ils le font debout. Ils se positionnent sur leurs quatre pattes afin d’observer, de se renifler le derrière et prendre les informations nécessaires sur l’autre. Le chien utilise cette même posture lorsqu’il rencontrera un humain et même pour observer les nouveaux objets. Ils sont souvent debout et non assis à attendre. Lorsqu’un chien est dans l’anticipation (courir après un écureuil/recevoir un jouet/une menace possible) il est aussi debout naturellement.
En observant les interactions sociales, on réalise que les chiens décident eux-mêmes de se tenir debout et non assis. Même si cela est fait positivement, ne croyez-vous pas que de lui imposer de s’asseoir lors de ces interactions est contre la nature du chien ?
Un assis peut être inapproprié ? Eh oui !
Entraîner les comportements d’obéissance de base tels que le assis, le couché et le reste sont des façons de «contrôler» les comportements de notre chien. Notamment ceux qui sont indésirables comme le saut par exemple : on enseignera alors un assis plutôt que de sauter sur la visite, un couché plutôt que de sauter sur les comptoirs de la cuisine, un assis-reste plutôt que de lécher le lave-vaisselle. C’est le choix personnel de chaque propriétaire quant à la demande qu’il fera à son chien afin d’éviter les situations désagréables. Je dis souvent dans mes cours de groupe que l’obéissance n’est pas apprise pour faire bonne figure, elle est enseignée au chien afin de s’en servir dans toutes sortes de situations telles que mentionnées ci-haut.
Cependant, en demandant à nos chiens d’exécuter ces demandes dans différentes situations, je pense qu’il important de savoir si ces comportements de fondations sont appropriés dans tels ou tels contextes et ce même s’ils ont été enseignés avec des méthodes positives.
Penser à comprendre le comportement d’un chien et la fonction de chacun des comportements est à mon avis une technique qui pourrait éviter bien des malentendus. Je cite Kama Brown : « Chaque fois que nous enseignons un comportement, il est important de déterminer comment ce comportement fonctionne pour le chien et si le fait de le demander est approprié dans un contexte donné, même s’il a été enseigné en utilisant des méthodes positives.»
Chaque comportement à sa fonction
Lors d’une rencontre avec un autre chien par exemple, chaque comportement produit par le chien aura une fonction spécifique émotionnelle et physique : votre compagnon peut renifler pour prendre de précieuses informations et ainsi adapter son comportement, aboyer pour communiquer, se secouer pour évacuer une tension, reculer pour obtenir de la distance s’il ne se sent pas à l’aise, se coucher pour montrer ces intentions pacifiques où pour protéger ses parties vulnérables.
Alors à quel niveau, demander à son chien de s’asseoir lors d’une interaction sociale est fonctionnel pour lui ?
Je partage le point de vue de Kama Brown sur ce fait, le assis n’est aucunement fonctionnel lors d’interactions sociales, car il empêche systématiquement le chien d’agir naturellement. Forcer un chien à s’asseoir pourrait alors créer de la peur, car impossible pour lui de se retirer. Cela pourrait aussi créer des conflits, car incapable de prendre les informations émises par l’autre individu, le chien pourrait mal interpréter les signaux.
Également, lorsqu’un chien est systématiquement empêché d’exprimer un comportement naturel, la réactivité est inévitable. L’accumulation de stress conduit à un point de basculement.
Ce que les recherches scientifiques nous apprennent
Une étude sur la maitrise de soi et la prise de risque et de décision subséquentes réalisée par Miller et all. (3) évoque le fait que nous ayons un compte en banque de contrôle de soi. Il semblerait que nous en ayons une quantité limitée et qu’une fois épuisées, nous ne pouvons en dépenser plus.
Les individus ayant été mis sous un contrôle de soi seraient plus susceptibles de prendre des risques par la suite et de se mettre dans des situations dangereuses.
Cette étude devait évaluer les chiens sur leur capacité de concentration à effectuer une série de tâches. Elle expose que si on demande à un chien (comme à un humain) de contrôler ses mouvements physiques (par exemple s’asseoir et ne pas bouger) lors d’une série de tâches et ce comme toute première de la série, le chien aura moins de concentration sur les demandes futures qui sollicitent plus de concentration que « assis » et sera plus enclin à abandonner.
Les chercheurs ont alors constaté que les chiens ayant comme tâche première de rester assis et de ne pas bouger alors que leur guide quittait la pièce perdaient rapidement leur attention et étaient beaucoup moins concentrés lors des tâches subséquentes. Cela comparativement à un groupe de chien dont la première tâche, était de rester dans une cage alors que leur guide quittait la pièce. Pour résumer, l’énergie dépensée à se contrôler (assis et ne pas bouger) affectait l’énergie disponible pour résoudre les autres tâches, on parle alors de « l’épuisement du contrôle de soi ».
Le contrôle de soi et la prise de décision dangereuse
Durant cette étude, les chiens devaient rester sur un assis-reste alors qu’un hamster électronique bougeait autour de la salle. Puis les mêmes chiens ont refait l’expérience alors qu’ils étaient en cage (sans aucune maitrise de soi). Après une période de 10 minutes, les chiens ont été escortés à l’extérieur de la salle alors qu’un chien très réactif aux autres chiens était installé en cage dans le fond de la salle. Puis les chiens sujets ont été ramené dans la salle afin de noter leur réaction face au chien réactif qui jappait et grognait.
Les résultats démontrent une différence significative dans les comportements des chiens ayant antérieurement été resté sur un assis-reste versus dans une cage.
En effet, alors que les chiens qui avaient dû être en contrôle de soi avant le retour dans la salle étaient beaucoup plus intéressés au chien réactif dans la cage et sont resté plus près plus longtemps de ce chien versus lorsqu’ils avaient été en cage auparavant.
En résumé, cette recherche démontre que l’énergie épuisée (physique, mentale et émotionnelle) peut prédisposer un animal à une prise de décision plus risquée et plus impulsive.
Elle entraîne une diminution de l’inhibition et emmène des choix plus aventureux, voire même périlleux. De la même façon que lorsqu’un humain est épuisé et fatigué et qu’il a dû se contrôler tout au long de la journée de travail, il peut devenir plus impatient et agressif au retour à la maison, produire des comportements dangereux comme rouler à toute vitesse sur l’autoroute et avoir une contravention !
J’apprécie particulièrement cette comparaison mentionnée dans l’étude afin de nous aider à mieux comprendre le processus : « Reliez le stress à un verre d’eau : le chien étant le verre et le stress étant l’eau. Chaque interaction ou activité qui provoque le stress provoque le remplissage du verre doucement, et sans avoir le temps de se détendre et de s’épuiser, éventuellement le verre va déborder. Ce qui est le point où rien ne peut être appris et donc que les réactions sont hors proportion. Cela semble lié au point d’origine : la «ressource limitée» étant la capacité du verre! »
Je pense que d’apprendre le comportement « debout » est la meilleure alternative dans ces situations d’interaction sociale. Elle n’entrave pas les mouvements du chien qui reste libre de bouger et d’agir comme il le veut.
C’est lui donner le pouvoir du choix.
Afin de vous aider à mieux comprendre comment enseigner le comportement debout sur ces quatre pattes plutôt que de sauter, voici une petite vidéo de l’entraineur Emily Larlham :
Pour terminer, je citerai ce que Kay Laurence, entraineuse de chiens a écrit dans un de ces articles (4) :
« Quel que soit le chien, le cheval, le poulet ou l’enfant que nous entraînons, vous assurez qu’ils ont la meilleure expérience possible lors de l’entraînement est bien plus important que d’être un simple distributeur de friandises.»
Sources :
1 : iaabc foundation
2 : Turid Rugas, On Talking Terms with Dogs: Calming Signals
3 : “Self-Control Depletion” & Dogs
4 : https://kaylaurence.wordpress.com/
5 : Crédit photo : Pixabay