Les animaux vivent-ils des émotions, perçoivent-ils les émotions humaines, ont-ils des sentiments? S’ils vivent des émotions, lesquelles ressentent-ils? Beaucoup de questions auxquelles la science tente de répondre depuis plusieurs années. Et répondre à ces questions nous apporte une meilleure compréhension de nos animaux domestiques avec qui nous partageons notre vie quotidienne. Cet article vise à démystifier les émotions chez le chien.

Nouvelles données scientifiques 

            De nouvelles données scientifiques, tendent à prouver dorénavant que le chien vit des émotions, tout comme nous les humains. Gregory Berns, professeur de Neuroéconomie à l’Université Emory, dirige la Faculté d’éducation et de recherche en Neuroscience et le centre de Neuropolitique. Il a utilisé l’IRM pour étudier le processus décisionnel chez les humains et les chiens. Il a écrit trois livres sur les résultats de ses recherches. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est un examen médical qui utilise un champ magnétique et des radiofréquences qui permettent de générer des images très précises, en 2D ou en 3D, des parties du corps et organes internes tels que le cerveau, la colonne, les articulations, etc. Les dernières découvertes scientifiques du Dr Berns ont démontré à quel point le cerveau des animaux et celui des humains étaient proches, voire même similaires. Il a montré que les animaux vivaient des émotions pratiquement comme nous les vivions. Ce qui nous force à reconsidérer ce que le droit animal devrait être.[1]

D’autres spécialistes tendent dans cette voie également. En effet, Mark Bekoff, spécialiste de renommée mondiale du comportement animal, professeur de biologie à l’Université du Colorado et cofondateur (avec Jane Goodall), de l’Ethologists for the Ethical Treatmen of Animal, a écrit un livre traitant spécifiquement des émotions des animaux. Selon M. Bekoff, plusieurs sciences animales comme la biologie évolutive, l’éthologie cognitive, ou encore les neurosciences sociales s’entendent de plus en plus pour dire que les animaux ont une vie affective beaucoup plus riche et profonde que ce que l’on pouvait croire il y a trente ans de cela.[2]

Le Dr Joël Dehasse, vétérinaire comportementaliste belge, nous dit aussi dans ses ouvrages que le chien est un être capable d’émotions. Dans son livre Tout sur la psychologie du chien, toute une section est consacrée aux émotions.[3]

Qu’est-ce qu’une émotion ?

            Ou encore qu’est-ce que l’Émotion avec un grand E? Il n’est pas évident de trouver une définition qui soit claire de ce qu’est une émotion. Parce qu’une émotion, ça se vit, ça se ressent, ça traverse le corps. Si l’on veut mettre des mots pour éclaircir le concept, l’on pourrait dire que « l’émotion est un état cognitif particulier, qui s’accompagne d’une perte de sérénité, d’une agitation interne et de réactions physiologiques, d’expressions faciales et de comportements spécifiques. »[4] Une émotion entraîne donc des réactions non raisonnées, involontaires et inconscientes. Elle ne dure jamais très longtemps, elle est passagère et soudaine. Elle se vit à différents degrés d’intensité. Elle s’exprime également d’une multitude de façons selon les individus. Il y a trois émotions fondamentales auxquelles tout être humain ou chien est soumis :

  • La peur
  • L’excitation (colère ou joie)
  • La tristesse, le dégoût

Gare aux interprétations !!!

            Il faut faire attention à la façon dont nous, les humains, allons interpréter les émotions de nos chiens. Il est facile, je dirais même presque normal, d’interpréter les réactions de notre chien en le mettant en miroir avec notre façon de procéder. En réalité, le sentiment, c’est-à-dire l’impression subjective, vient APRÈS avoir vécu l’émotion. C’est un procédé complexe qui existe chez les êtres humains. Par exemple, après avoir eu peur, l’on peut dire de manière rétroactive « J’ai vécu une vraie frousse! ». Actuellement, ce type de processus cognitif n’a pas été démontré chez le chien. Si nous pouvons dire qu’il vit bel et bien des émotions, en revanche, le mot sentiment ne s’applique pas. Il faut donc éviter à tout prix de tomber dans l’anthropomorphisme, c’est-à-dire d’attribuer aux animaux des états mentaux humains (pensées, sentiments, motivations et croyances). [5] Autant notre façon de décrire et d’interpréter les comportements de nos chiens à travers nos « lunettes d’humains » peut être bénéfique pour nous permettre une meilleure compréhension de nos similitudes, autant elle peut nuire à notre compagnon préféré, en lui prêtant des intentions qu’il n’a pas par exemple. Le chien n’est pas hypocrite, jaloux ou têtu. S’il ne fait pas quelque chose qu’on lui demande c’est peut-être simplement parce qu’il a une douleur qui l’empêche de le faire ou qu’il n’est tout simplement pas assez motivé pour le faire.

La peur conduit à…

À quoi ressemble un chien qui a peur ? Il pourrait avoir l’air surpris, craintif ou inquiet. Vous avez certainement déjà observé un chien faire un saut, que ce soit à cause d’un bruit ou parce qu’il n’avait pas vu quelque chose arriver rapidement dans son champ de vision? Il pourrait anticiper, s’il se trouve dans une situation où il a déjà eu peur. Par exemple, s’il a déjà eu peur d’une poubelle dans une entrée de maison, il pourrait appréhender la poubelle en arrivant tout près de l’entrée en question. Il pourrait manifester des signes d’inconfort. S’il est en laisse et qu’il a peur de quelque chose, il pourrait se sentir pris et se mettre à se débattre au bout de sa laisse pour s’enfuir. D’autres auront plus tendance à figer, à se replier sur eux-mêmes, à se cacher derrière vos jambes. Dans tous les cas, un chien qui a peur se placera en posture basse, oreilles couchées, queue plaquée entre les pattes voire même sous le ventre, replié sur ses pattes arrière, prêt à bondir pour s’enfuir s’il y est forcé[6] ou agresser s’il ne peut pas fuir.

Si votre chien vit un trouble émotionnel en lien avec la peur, il pourrait avoir des phobies, soit simples, soit multiples. Une phobie simple est une peur très intense d’un stimulus spécifique tel que : bruit, orage, enfants, vétérinaire…Une phobie multiple est une peur très intense de plusieurs classes de stimuli : le bruit et les enfants, les gens et les chiens…[7]. Dans les deux cas, le chien vivra une détresse psychologique, d’autant plus s’il ne peut s’en soustraire, ce qui affectera considérablement son niveau de bien-être sur le court, moyen et long terme.

Si vous croyez que votre chien est aux prises avec des phobies, nous vous invitons à faire appel à un intervenant en comportement canin, dûment formé et qui travaille en méthodes positives. Sachez également qu’une prise en charge médicale peut être faite par votre vétérinaire traitant pour soulager cet état de panique.

La colère et la joie conduisent à…

Vous allez certainement me dire que la colère et la joie sont deux émotions diamétralement opposées ? En réalité, la ligne est très mince entre ces deux émotions. En effet, si l’on observe le cerveau de l’intérieur, les mêmes zones sont sollicitées. En outre, un chien en colère ou un chien joyeux sera dans l’extériorisation et l’action. Avez-vous déjà vu un chien joyeux figé comme une statue? Moi non ! Bien entendu, les conséquences de ces deux émotions ne seront pas les mêmes, toutefois, un chien trop excité (joie ou colère), pourrait se blesser ou blesser son entourage.

Un chien joyeux manifestera son émotion en sautillant, en se tortillant, en faisant « le fou », le corps sera souple, les oreilles droites et la queue branlante. Un chien en colère jappera, menacera, montrera les dents, le corps sera tendu, la queue droite ou fouettant dans les airs, etc. Dans tous les cas, il sera en posture haute, bien planté sur ses pattes avant.[8]

Les problèmes les plus courants en lien avec l’excitation sont :

  • Des crises d’excitation dans la joie déclenchée par un stimulus spécifique, par exemple l’arrivée de la visite. C’est fréquent chez le chien en manque d’exercices ou celui qui n’a pas appris à gérer ses émotions.
  • Des crises d’excitation dans la colère (bien souvent avec agression) déclenchée par un stimulus spécifique, par exemple l’approche d’un étranger.
  • Des troubles explosifs intermittents déclenchés par une variété de stimuli ou de contexte.
  • La crise psychomotrice, apparenté à l’épilepsie.

Si vous croyez que votre chien est aux prises avec des problèmes de ce genre, il est recommandé de faire appel à un spécialiste pour aider votre animal à se sortir de ces états émotionnels critiques. Il en va de son bien-être et de votre sécurité.

La tristesse conduit à…

            Très malheureusement, les chiens qui vivent de la tristesse sont généralement ceux dont on entend le moins parlé. En effet, comme le chien triste est souvent catégorisé comme un chien calme, qui ne déplace pas d’air, qui ne dérange pas, les propriétaires ne sont pas portés à s’en inquiéter outre mesure. Si c’est passager, il n’y a pas à s’inquiéter outre mesure. Nous avons souvent entendu l’histoire du chien qui vit avec un autre chien depuis plusieurs années, lorsque l’un des deux chiens décède, l’autre pendant un temps, s’isole un peu plus, joue moins, interagit moins.[9] Mais au bout de quelque temps, il revient à lui-même et reprend ses habitudes. Si cela perdure dans le temps, il pourrait être possible que le chien vive une dépression. Il serait donc important de demander l’avis d’un expert afin de ne pas laisser votre compagnon s’enfoncer dans un état dépressif plus grave.

Quelques petites choses à démêler

Quand on parle d’émotion, par exemple de la peur, l’on pourrait être tenter de la confondre avec des termes comme anxiété ou stress. Spécifions les différences. La peur est une émotion, comme nous l’avons décrit plus haut. L’anxiété pour sa part est une humeur, c’est à dire une émotion qui dure sur le long terme et qui est présente même en l’absence du stimulus qui suscite l’émotion de peur. C’est en quelque sorte « la peur d’avoir peur ». Les chiens ont des humeurs aussi et peuvent donc vivre de l’anxiété. Le stress quant à lui, n’est pas un état interne, mais une pression de l’environnement, qui affecte directement notre équilibre interne ou celui de notre animal. Il est donc possible de vivre du stress sans être anxieux et d’être anxieux sans vivre du stress. Mais si nous sommes anxieux, les situations stressantes sont plus difficiles à gérer. Même chose pour notre chien. [10]

Par exemple, si j’ai un chien d’humeur anxieuse et que je me présente dans un environnement où il y a beaucoup de bruits, beaucoup monde, etc. et qu’il y a soudainement des feux d’artifices qui se déclenchent, les risques sont élevés que mon chien ne gère pas bien cette situation et qu’il tombe en crise émotionnelle. Mais dans la même situation, un chien d’humeur que l’on qualifie de normale, s’adaptera plus facilement.[11]

Conclusion

Nous espérons que cet article vous donne de meilleurs outils pour comprendre votre compagnon et pouvoir pleinement l’accompagner dans son quotidien. Nous vous invitons d’ailleurs à vous plonger dans son monde, plus instinctif et viscéral que le nôtre, dont nous ne sommes d’ailleurs qu’aux prémices de la découverte.

A la lumière de ces nouvelles connaissances, nous pouvons dire que le chien, être d’émotions, est sans doute bien plus proche de nous que nous ne le pensions, mais il est à parier qu’il nous réserve encore bien des surprises.

 

Références

 

[1] BERNS, Gregory. What it’s like to be a dog, Basic Books, New York, 2017.

[2] BEKOFF, Marc. Les émotions des animaux, Éditions Payot & Rivages, Paris, 2009, p. 19.

[3] DEHASSE, Joël. Tout sur la psychologie du chien, Odile Jacob, Paris, 2009, pp. 261-267.

[4] Idem, p. 261.

[5] A. SERPELL, James. Anthropomorphism and Anthropomorphic Selection—Beyond the “Cute Response”, Society & Animals 10:4, © Koninklijke Brill NV, Leiden, 2002.

[6] Ibid, DEHASSE. P. 262.

[7] Idem, p. 263.

[8] Idem, p. 266-267.

[9] Idem, p. 267.

[10] Idem, p. 261-268.

[11] Idem, p. 270.