Nous avons déjà traité du fait que le chien est un être d’émotions. Qu’il peut ressentir la peur, la joie, la tristesse. Je vous invite à ce sujet à relire l’article : « Les émotions chez le chien ».[1] Maintenant que l’on sait que le chien vit des émotions, il paraissait nécessaire de s’attarder sur une émotion puissante, celle de la peur. Bien comprendre la peur chez votre compagnon vous aidera à bien l’accompagner dans son quotidien.

Éviter les confusions dans les termes

Émotion

Quand on parle d’une émotion comme la peur, on pourrait être tenté de la confondre avec des termes comme anxiété, stress ou encore phobie. Il est donc important de bien les définir. La peur est une émotion. Une émotion, c’est quelque chose qui se vit et qui se ressent. Tel que décrit par le Dr Joël Dehasse dans Tout sur la psychologie du chien, « l’émotion est un état cognitif particulier, qui s’accompagne d’une perte de sérénité, d’une agitation interne et de réactions physiologiques, d’expressions faciales et de comportements spécifiques. »[2] Les émotions entraînent des réactions non raisonnées, involontaires et inconscientes. Une émotion est :

  • Courte;
  • Se vit à différentes intensités;
  • S’exprime différemment selon les individus.

 

Le stress

Le stress quant à lui, c’est une pression de l’environnement, qui affecte directement notre équilibre interne ou celui de notre animal. Il est donc possible de vivre du stress sans être anxieux et d’être anxieux sans vivre du stress. Mais si nous sommes anxieux, les situations stressantes sont plus difficiles à gérer. Même chose pour notre chien. [3]

Les conséquences du stress

L’augmentation du stress chez le chien (et même chez l’humain) a de nombreux impacts. Toutes les émotions sont génératrices de stress, y compris la peur, évidemment.

Le stress se vit en trois phases.

  1. La première, la phase d’alarme durant laquelle l’organisme mobilisera ses ressources pour répondre à l’agent ou aux agents stresseurs.
  2. La deuxième phase est celle où l’organisme s’adapte par différents moyens.
  3. La troisième est la phase d’épuisement lorsque l’agent ou les agents stressants persistent.

 

La réaction au stress impliquera plusieurs systèmes du corps :

  • Système nerveux
  • Système endocrinien (les hormones)
  • Système immunitaire.

Je vais vous épargner le jargon très scientifique qui décrit la réponse du corps à la perception d’un agent stressant et j’irai directement au but en vous exposant le fait que lorsque le corps réagit à un stresseur, il y aura libération de cortisol. Le cortisol est aussi appelé l’hormone du stress. Cet élément, lorsqu’il est libéré dans le corps est un neurotoxique. Il contribue à la destruction des neurones et peut provoquer des pertes de mémoire ou des difficultés d’apprentissage. Un chien stressé sera moins apte à apprendre. De plus, le stress constant, donc des pressions constantes de l’environnement sur l’organisme peuvent menées au développement de maladies auto-immunes ou de troubles obsessionnels compulsifs (TOC).[4]

L’anxiété

L’anxiété, c’est une humeur. C’est une émotion qui dure longtemps. Elle est présente même en l’absence du stimulus qui suscite l’émotion de peur. C’est en quelque sorte « la peur d’avoir peur ». Les chiens ont des humeurs aussi et peuvent donc vivre de l’anxiété.

Par exemple, si j’ai un chien d’humeur anxieuse et que je l’emmène à une soirée de la Saint-Jean-Baptiste où il y a beaucoup de monde, de la musique, beaucoup de bruits forts et

énormément de stimulus visuels, auditifs et sonores et qu’en fin de soirée, il y a des feux d’artifice, les risques sont élevés que mon chien ne gère pas bien cette situation et qu’il tombe en crise émotionnelle. Mais dans la même situation, un chien d’humeur que l’on qualifie de normale, s’adaptera plus facilement et vivra la soirée beaucoup plus sereinement, passant d’une personne à l’autre pour se faire flatter, jouant avec les enfants, etc. [5]

Phobie

Pour ce qui est des phobies, elles sont le trouble émotionnel en lien avec la peur.

Il existe des phobies simples :

  • une peur très intense d’un stimulus spécifique tel que : bruit, orage, enfants, vétérinaire…

Et des phobies multiples :

  • une peur très intense de plusieurs classes de stimuli : le bruit et les enfants, les gens et les chiens…[6]

Dans les deux cas, le chien vivra une détresse psychologique, d’autant plus s’il ne peut s’en soustraire, ce qui affectera considérablement son niveau de bien-être sur le court, moyen et long terme.

Si vous croyez que votre chien est aux prises avec des phobies, nous vous invitons à faire appel à un intervenant en comportement canin, dûment formé et qui travaille en méthodes positives. Sachez également qu’une prise en charge médicale peut être faite par votre vétérinaire traitant pour soulager cet état de panique.

Le chien est bon pour généraliser

En effet, la généralisation est facile pour le chien. Pensez-y, il suffit que vous lui appreniez à s’asseoir et que vous pratiquiez l’exercice dans différentes situations, contextes, moments pour qu’il finisse par le faire chaque fois que vous lui demandiez peu importe ce qui se passe autour de lui. On dit alors qu’il a généralisé l’apprentissage du commandement.

S’il peut généraliser l’apprentissage d’un commandement, pourquoi ne pourrait-il pas généraliser sur les éléments qui peuvent lui faire peur. Par exemple, il a un jour eu peur d’un homme qui portait une casquette, dorénavant, tous les hommes à casquette lui feront peur. Il a un jour été attaqué par un gros chien noir et il a eu peur. Il n’en suffit pas de plus pour qu’il ait alors peur de tous les gros chiens noirs.

 

Qu’est-ce qui cause la peur?

Plusieurs éléments peuvent causer la peur chez notre animal de compagnie. Nous en avons énuméré quelques-uns déjà. Mais soyons conscient que les choses auxquels le chien n’aura pas été socialisé durant la période sensible en bas âge seront plus susceptibles de susciter la peur. En effet, ce que nous ne connaissons pas nous fait peur… L’inconnu nous fait peur, même à nous les humains. Mais énumérons certaines choses qui peuvent causer la peur chez le chien :

  • L’orage (5 % des chiens en ont peur)[7];
  • Les bruits forts en général (20 % des chiens en souffrent)[8]/[9]
  • Les enfants
  • Les ballons
  • Le vétérinaire
  • Les étrangers
  • Les chiens inconnus

Il faut savoir aussi qu’il y a une part de génétique dans la peur et dans tous les traits comportementaux. Il n’y a pas que l’aspect physique qui se transmet par la génétique. Si les deux parents de notre chien étaient des chiens craintifs, il y aura plus de chance qu’au sein de la portée il y ait des chiots prédisposés à être craintifs. De là l’importance de voir les parents avant de choisir un chiot.[10]

Comment se manifeste la peur?

À quoi ressemble un chien qui a peur? Il pourrait avoir l’air

  • Surpris,
  • Craintif ou,
  • Inquiet.

Vous avez certainement déjà observé un chien faire un saut, que ce soit à cause d’un bruit ou parce qu’il n’avait pas vu quelque chose arriver rapidement dans son champ de vision? Il pourrait anticiper, s’il se trouve dans une situation où il a déjà eu peur. Par exemple, s’il a déjà eu peur d’une décoration d’Halloween chez un voisin, lors d’une prochaine promenade, il pourrait appréhender la décoration en question, même si l’Halloween est passée et que la décoration n’est plus là. Il pourrait manifester des signes d’inconfort. Pour reconnaître les signes d’inconfort, je vous invite à vous référer à notre article sur les signaux d’apaisement paru sur notre blogue il y a quelque temps.[11] Rapidement, les signes d’inconfort les plus communs et les plus faciles à observer sont :

  • Posture basse
  • Immobilisation
  • Tourner le dos/tourner la tête
  • Bouger lentement
  • S’approcher de façon oblique
  • Se coucher/s’asseoir
  • Se rouler au sol
  • Salut/Courbette (position de jeu)
  • Renifler le sol
  • Se gratter/se toiletter/se mordre les griffes
  • Relever un antérieur (patte)
  • Les yeux mi-clos/détourner le regard/cligner doucement des yeux
  • Se lécher le nez/se lécher les lèvres
  • Bâiller
  • Se secouer

Donc si le chien est en laisse et qu’il a peur de quelque chose, il pourrait se sentir pris et se mettre à se débattre au bout de sa laisse pour s’enfuir. D’autres auront plus tendance à figer, à se replier sur eux-mêmes, à se cacher derrière vos jambes. Dans tous les cas, un chien qui a peur se placera en posture basse, repliée sur ses pattes arrière, prêt à bondir pour s’enfuir s’il y est forcé[12] ou agresser s’il ne peut pas fuir.

 

Mécanismes de défense

Les mécanismes de défense du chien, comme le distancement en laisse ou le chien qui agresse quand il a peur, ont comme objectif :

d’augmenter la distance entre le stimulus qui provoque la peur et le chien.

Si le chien a peur du facteur, et qu’il charge le facteur, nécessairement, le pauvre facteur aura tendance à se sauver. Quand le chien aura obtenu une distance entre lui et le facteur qui fait en sorte que l’émotion redescend, il cessera sa charge.

Pour ce qui est du chien qui est en laisse, s’il a peur des autres chiens qui s’approchent ou des humains qui marchent vers lui, s’il ne peut pas fuir, il aura tendance à extérioriser son émotion et à se jeter au bout de sa laisse pour charger en direction du stimulus qui le dérange. Si la personne ou l’autre chien s’en va ou change de côté de rue, ou si moi-même je fais demi-tour et prend un autre chemin avec mon chien, la crise émotionnelle passera plus rapidement. En effet, le chien cherche simplement à prendre de la distance, donc une fois la distance prise, l’émotion se calme.

Pour transposer un peu chez les humains, lors d’une formation de survis en forêt, un instructeur nous avait dit que si nous nous retrouvions en face d’un animal sauvage, tel un loup, au lieu de nous sauver (ce qui pourrait provoquer l’animal à nous poursuivre), il était mieux de se faire paraître plus grand que l’on est en réalité, de faire beaucoup de bruit, donc de tenter de faire plus peur à la bête que nous n’avons peur nous-mêmes. Le chien qui entre dans ses mécanismes de défense fait un peu la même chose. Il essaie d’avoir l’air plus gros qu’il ne l’est et de faire plus peur que ce qui lui fait peur.

Il est impossible de « renforcer » la peur

Quand on intervient auprès d’un chien qui a peur, on va généralement proposer des techniques de désensibilisation et de contre-conditionnement classique afin d’aller changer l’émotion sous-jacente provoquée par un stimulus X. À l’intérieur de ces techniques, on utilisera les récompenses alimentaires. Parfois, on se fait dire : « Oui, mais si je donne une gâterie à mon chien pendant qu’il a peur, je suis en train de renforcer la peur! » En réalité, la peur n’est pas renforcée, elle est remplacée par une émotion plus agréable, telle que la joie. Pour bien comprendre les techniques de désensibilisation et de contre-conditionnement, je vous invite à vous référer à l’article Démêlons le jargon, paru sur notre blogue le 19 février 2019.[13]

De plus, dans le cas d’un chien qui vit une émotion forte comme la peur, les gens ont tendance à vouloir rassurer le chien, le toucher, le flatter, lui parler. Certains diront qu’il ne faut pas faire ça. Moi je dirais : « Pourquoi pas? » Si je suis en train de regarder un film d’horreur avec mon copain et que tout d’un coup il y a une scène vraiment effrayante, j’aurai tendance à me coller un peu plus sur lui, il me flattera l’épaule et me dira un petit mot doux. Est-ce que cela augmentera ma peur? Bien au contraire, ça la diminuera et la fera passer plus vite. Il en est de même pour votre chien.

Conseils d’entraînement sécuritaire

D’abord, pour gérer, entraîner, et modifier les comportements d’un chien qui a peur, il faut le comprendre. Dès qu’on le comprend mieux, on lui en veut moins. Un chien qui agresse par peur n’a pas d’intention méchante, manipulatrice ou vengeresse derrière la tête. Ce sont des processus cognitifs étudiables chez les humains, mais dont nous n’avons encore aucune preuve qu’ils existent chez nos meilleurs amis à quatre pattes. Nous avions traité de l’anthropomorphisme dans notre article sur les émotions. Je vous invite à relire cette section. Donc il est plus facile de gérer les comportements de notre chien quand on les comprend mieux.

Dans le cas d’un chien qui agresse en raison de la peur, il faut d’abord voir à éliminer les causes de l’émotion et ensuite changer l’émotion du chien. Souvent, proposer un jeu que le chien aime beaucoup, par exemple la balle, ou encore lui faire pratiquer des trucs qu’il aime faire sont des techniques efficaces.

Si notre chien a peur des enfants et qu’il risque d’agresser s’il est en présence de ceux-ci, la seule présence d’un adulte vigilant suffirait à réduire de 60 % l’incidence de morsure. Donc, NE LAISSEZ JAMAIS UN ENFANT SEUL AVEC UN CHIEN! Et ce, même si votre chien est le plus doux agneau du monde. En cas d’incertitude sur le risque que le chien puisse agresser l’enfant, il est possible de museler le chien (en lui apprenant positivement à porter la muselière[14]), ou tout simplement trouver une solution afin que le chien ne soit pas en contact avec des enfants (gardienne, pension, etc.).

Si le chien vit trop de stress dans son contexte de vie quotidienne et que ce contexte peut difficilement être modifié, il serait peut-être plus prudent, pour la sécurité de tous et le bien-être de l’animal d’envisager de replacer celui-ci dans un environnement qui lui conviendrait mieux. Par exemple passer d’une famille de quatre enfants en bas âge avec tout ce que cela implique (bruits, action, etc.) à un couple de retraités vivants seul à la campagne.

Si notre fidèle copain est peureux lors des promenades, il faut être conscient que l’agression peut survenir s’il ne peut pas fuir la situation qui lui fait peur. Il faut alors prendre nos responsabilités et garder notre chien en laisse, voire lui faire porter une muselière.

Comme je l’ai mentionnée plus haut, la peur peut être travaillée à l’aide des techniques de désensibilisation et de contre-conditionnement classique. Si vous avez besoin d’un coup de main afin de bien entamer ces processus avec votre chien, n’hésitez jamais à faire appel à un intervenant qui est formé pour bien vous montrer ces techniques et bien vous guider dans leur application avec votre animal.

Conclusion

Nous espérons que cet article vous aura aidé à mieux comprendre les implications de l’émotion de peur chez le chien. Nous ne sommes qu’à l’aube de la compréhension de la psyché animale. Il nous reste encore bien des confins à explorer. Chacun des pas que nous prenons dans cette voie, que ce soit en tant qu’expert ou en tant que propriétaires de chiens, nous rapproche encore plus de nos meilleurs amis. En souhaitant que cela nous permette de vivre de plus en plus en harmonie avec eux et avec leur nature.

 

Références

[1] https://beli.ca/les-emotions-chez-le-chien/

[2] DEHASSE, Joël. Tout sur la psychologie du chien, Éditions Odile Jacob, Paris, 2009, p. 261.

[3] Idem, 261-268.

[4] Idem, p. 364-365.

[5] Idem, p. 270.

[6] Idem, p. 263.

[7] Idem, p. 265.

[8] Idem, p. 264.

[9] https://beli.ca/la-peur-des-bruits/

[10] Ibid, DEHASSE, p. 48.

[11] https://beli.ca/les-signaux-dapaisement-mythes-ou-realites/

[12] Ibid, DEHASSE. P. 262.

[13] https://beli.ca/demelons-le-jargon/

[14] https://beli.ca/la-museliere-un-outil-de-gestion/