Depuis quelques années, dans le domaine canin, les mots signaux d’apaisement circulent de plus en plus. Mais de quoi parlons-nous exactement? Comme le chien est un animal social, il est nécessaire pour lui de communiquer avec ses congénères et son environnement, c’est une question de survie. À cette fin, il doit émettre des signaux. Cesdits signaux sont appelés par certains des signaux d’apaisement. Servent-ils uniquement à cette fin? Sont-ils tous simplement des signaux de communication servant à exprimer une variété d’émotions? Ou sont-ils purement des réflexes neurovégétatifs (ensemble de structures nerveuses qui assurent la régulation des fonctions végétatives de l’organisme (fonctions respiratoire, circulatoire, métabolique, etc.) servant à rétablir l’équilibre interne de l’animal, mais ayant des manifestations externes? C’est ce que nous allons tenter de démystifier pour vous dans cet article.

D’où vient le terme de signaux d’apaisement

Entendons-nous, les chiens communiquent depuis qu’ils sont chiens, mais Turid Rugaas, une dresseuse de chiens originaire de la Norvège, est l’une des premières à avoir parlé de la communication des chiens en terme de signaux d’apaisement. D’ailleurs, son livre, On Talking Terms with Dogs, paru pour la première fois en 2005, recense près de 30 signaux d’apaisement [1] .

Voici justement une des nombreuses images que l’on peut facilement trouver sur internet et qui montre les principaux signaux d’apaisement décrit dans le livre de Rugaas:

Signaux d'apaisement

Dans ce livre, l’auteure avance que le chien a les mêmes habiletés que le loup pour interrompre des séquences d’agression. Toutefois, le chien domestique utiliserait, selon elle, ces signaux, majoritairement pour prévenir les situations malencontreuses plutôt que pour les interrompre. De là l’expression signaux d’apaisement (dans le sens d’apaiser une situation AVANT qu’elle ne dégénère)[2]. Les signaux d’apaisement sont donc une espèce d’assurance vie pour le chien. Ils servent à résoudre des conflits, se faire des amis, bref, ils servent à interagir de façon adéquate.

Donc depuis 2005, le terme circule dans le monde du comportement canin. Malheureusement, comme au jeu du téléphone arabe où le message finit par être complètement déformé, le terme a été repris et réinterprété à différentes sauces. Ce qui a eu pour résultat que l’on ne sait même plus de quoi on parle en réalité. Les intervenants en comportement canin vous diront qu’ils entendent toute sorte de questions à ce sujet : « Mais pourquoi mon chien veut s’apaiser? », « Est-ce qu’il tente de m’apaiser moi? », « S’il s’apaise autant c’est qu’il n’est pas bien… » et ainsi de suite. L’incompréhension règne. Mais pour vivre en harmonie avec notre compagnon poilu, il est nécessaire de comprendre la façon dont il communique et certains spécialistes se sont penchés sur la question.

Signaux de communication

Karen Overall, vétérinaire comportementaliste américaine a effectué des recherches et travaillé sur le sujet dont les conclusions sont exposées dans son ouvrage Manual of Clinical Behavioral Medicine for Dogs and Cats. Selon la Dre Overall, dans un groupe de chiens, la communication sert à assurer la cohésion du groupe ainsi qu’à minimiser les conflits, sur ce point, Rugaas avait vu juste. Et c’est pareil pour l’humain! Imaginez-vous si nous ne nous parlions pas, le nombre de conflits serait incroyable! L’anarchie régnerait! Comme je le mentionnais plus haut, le chien étant un animal social, il cherche à éviter les conflits et les risques qui y sont liés : blessures, maladies et dans le pire des cas, la mort. Comme le chien est un animal grégaire (qui vit en groupe), la survie de l’individu passe par et dépend de la survie du groupe. Il n’a donc pas intérêt à entrer en conflit avec les autres membres du groupe, que ce soit dans un groupe de chiens ou dans son groupe au sein de votre famille (vous, le chat, les enfants, etc.). En fin de compte, le chien est génétiquement programmé pour ne pas entrer en conflit et pour ce faire, la nature l’a dotée d’une panoplie de signaux de communication. Donc pour éviter les conflits, il doit pouvoir communiquer clairement ses intentions, mais attention! Tout est dans le contexte! Pour être clair, un signal doit être associé à un contexte approprié. Par exemple, un chien qui se tient la queue et les oreilles droites avec une patte en avant de l’autre se montre soit alerte, soit prêt à participer à une interaction (ex. : jeux). Ou encore, un chien dont le poil est hérissé sur son dos montre soit qu’il est éveillé, soit qu’il est incertain (si le poil est hérissé uniquement au niveau de la croupe [des fesses]), soit qu’il a peur (le poil sera hérissé au niveau de la croupe ET des épaules). C’est en observant le contexte que l’on identifiera bien l’émotion [3]. De plus, la réponse qu’obtiendra le chien à ses signaux déterminera la suite de l’interaction.

En effet, un chien calme, qui passe à une posture d’éveil (le corps droit, les oreilles droites et la queue légèrement relevée) devant un chien qui montre de l’intérêt à jouer, sollicitera à son tour l’interaction sociale et le jeu. Mais devant un chien qui démontre un comportement offensif, il aura tendance à adopter des postures défensives ou encore des postures pour réclamer une cessation de l’interaction. [4] Voici une illustration qui montre bien quel chemin peut prendre le chien par rapport à la réponse qu’il obtient à ses postures:

signaux apaisement canin
Overall, Karen. Manual of Clinical Behavioral Medecine for Dogs and Cats, Elsevier, 2013, p. 142.

Le Dr Joël Dehasse, vétérinaire comportementaliste belge, remet en question l’utilisation des mots signaux d’apaisement. En effet, pour lui, il s’agit bien de signaux toutefois, apaisement ne serait pas le terme approprié pour qualifier ces signaux. D’abord, un signal n’a de valeur que s’il y a un récepteur. En effet, un arbre qui casse et tombe dans la forêt fait-il du bruit si personne n’est là pour l’entendre? Un chien qui détourne la tête, si personne n’est là pour le voir, vient-il de communiquer quelque chose?

De plus, le Dr Dehasse départage les signaux du chien en trois catégories distinctes.

signaux apaisement charte
  • Un chien qui se lèche le bout du nez le fait pour quoi?
    • S’humidifier le nez pour mieux capter les odeurs;
    • Ré humidifier sa bouche parce qu’elle est sèche après avoir vécu un moment de stress.

Pensez-y, quand vous êtes nerveux, votre bouche s’assèche, quel est le reflex que vous avez à ce moment? Mâchouiller afin de faire revenir la salive dans votre bouche ou encore vous lécher les lèvres à vous les faire gercer! Devez-vous y réfléchir ou ça se fait involontairement? Communiquez-vous quelque chose ou c’est tout simplement votre corps qui rétablit lui-même l’équilibre? Oui, quelqu’un qui vous observe bien et qui vous connaît bien peut se dire : « Ha! Je crois qu’il/elle est nerveux(se) en ce moment! » Alors le chien tente-t-il de s’apaiser en se léchant le bout du nez? Permettez-moi d’en douter.

  • Pourquoi un chien se place en posture basse devant vous ou devant un autre chien?
    • Parce que la posture basse montre la peur;
    • Parce qu’il a appris que de cette façon, son « interlocuteur » était porté à cesser l’interaction.
  • Pourquoi un chien lèche les lèvres d’un autre chien ou encore tente de vous donner de « gros bisous »?
    • Parce que le léchage des babines est un vestige des comportements du chiot avec sa mère et qu’il incite le chien qui se fait lécher à adopter des comportements plus doux envers le lécheur
  • Pourquoi un chien se secoue?
    • Pour évacuer le stress, tout simplement!

Je vous fais ici une petite comparaison avec l’humain. Pour ma part, avant de faire une allocution devant un groupe, je sens le stress et la nervosité qui me gagne. J’ai tendance alors à me mettre à sautiller sur place, à taper des mains, à marcher, etc. Je bouge, ce qui m’aide à évacuer l’émotion grandissante.

Pour le Dr Dehasse, pour avoir une valeur de communication et de signal, les trois catégories doivent être combinées ensemble ET être observées dans leur contexte. On ne peut donc pas se permettre d’interpréter une seule manifestation et en déduire que le chien vit telle ou telle émotion. [5]Alors contrairement à ce que Rugaas nous propose dans son livre, il faut prendre le temps d’évaluer toute la scène afin de bien comprendre ce que le chien envoie comme message. Bien sûr, les chiens entre eux se comprennent bien (à moins d’un problème au niveau du langage), donc pour eux, l’évaluation se fait au quart de tour. Pour les humains, il faut un certain temps avant de saisir les subtilités du langage canin.

Pour résumer, oui, le chien émet des signaux, mais questionnons-nous sur le terme d’apaisement. Je vous invite à les voir en terme de communication. Par exemple, dans cette vidéo, on serait tenté de dire que le chien se sent coupable, qu’il tente de s’apaiser… alors qu’en réalité, le chien n’a pas la notion de culpabilité, il n’a pas le niveau de conscience nécessaire. Mais il a les sens suffisamment aiguiser pour détecter l’humeur (odorat moléculaire). Il est aussi passé maître dans la détection des signaux subtils du corps humain. C’est un expert en synergologie! Donc dans le vidéo, le chien émet des signaux pour ne pas entrer en conflit avec son humain!

Pour finir, prenez le temps d’observer votre compagnon pour apprendre son langage. Parce que bien que votre chien puisse apprendre une variété de commandes, il n’apprendra jamais à parler français. Donc celui des deux qui peut faire l’effort d’apprendre la langue de l’autre, c’est vous! Dans la tête de votre chien, c’est un peu comme s’il tenait pour acquis que tous les êtres de son environnement comprenaient sa langue, comme si nous, nous tenions pour acquis que tous les êtres humains parlent français. Je vous encourage fortement à lire le livre de Mme Rugaas, il simplifie un peu la question, mais vous donnera un début de compréhension. N’oubliez jamais de prendre en compte les signaux dans leur contexte et d’observer la combinaison des signaux. Et si vous avez besoin d’aide, ou si vous pensez que votre chien a du mal à communiquer adéquatement (parce que ça se peut!), n’hésitez pas à demander l’aide d’un intervenant en comportement canin qui lui, aura l’oeil affûté et vous aidera à bien identifier les différents signaux de votre compagnon.

Sources

  1. Rugaas, Turid. On Talking Terms with Dogs, Dogwise Publishing, 2005
  2. Idem, p. 61
  3. Overall, Karen. Manual of Clinical Behavioral Medecine for Dogs and Cats, Elsevier, 2013, p. 133-135
  4. Idem.
  5. Dehasse, Joël.Formation en coaching en comportement canin – Les signaux d’apaisement, Novembre 2017.
  6. DEHASSE, Joël.Formation en coaching en comportement canin – Les signaux d’apaisement, Novembre 2017.
  7. OVERALL, Karen.Manual of Clinical Behavioral Medecine for Dogs and Cats, Elsevier, 2013, 812 pages.
  8. RUGAAS, Turid. On Talking Terms with Dogs, Dogwise Publishing, 2005, 78 pages.